• Au mois d'avril, quand l'an se renouvelle,
    L'aube ne sort si fraîche de la mer :
    Ni hors des flots la déesse d'aimer
    Ne vint à Cypre en sa conque si belle,

    Au mois d'avril

    Comme je vis la beauté que j'appelle
    Mon astre saint, au matin s'éveiller,
    Rire le ciel, la terre s'émailler,
    Et les Amours voler à l'entour d'elle.

    Amour, Jeunesse, et les Grâces qui sont
    Filles du ciel lui pendaient sur le front :
    Mais ce qui plus redoubla mon service,

    C'est qu'elle avait un visage sans art.
    La femme laide est belle d'artifice,
    La femme belle est belle sans du fard.

                                            Pierre de Ronsard

     


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  • AVRIL

    Déjà les beaux jours, – la poussière,
    Un ciel d’azur et de lumière,
    Les murs enflammés, les longs soirs ; –
    Et rien de vert : – à peine encore
    Un reflet rougeâtre décore
    Les grands arbres aux rameaux noirs !

    Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
    – Ce n’est qu’après des jours de pluie
    Que doit surgir, en un tableau,
    Le printemps verdissant et rose,
    Comme une nymphe fraîche éclose
    Qui, souriante, sort de l’eau.

    Gérard de Nerval, Odelettes

     


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  • Le printemps Tout est lumière, tout est joie.
    L'araignée au pied diligent
    Attache aux tulipes de soie
    Les rondes dentelles d'argent.

    La frissonnante libellule
    Mire les globes de ses yeux
    Dans l'étang splendide où pullule
    Tout un monde mystérieux.

    La rose semble, rajeunie,
    S'accoupler au bouton vermeil
    L'oiseau chante plein d'harmonie
    Dans les rameaux pleins de soleil.

    Sous les bois, où tout bruit s'émousse,
    Le faon craintif joue en rêvant :
    Dans les verts écrins de la mousse,
    Luit le scarabée, or vivant.

    La lune au jour est tiède et pâle
    Comme un joyeux convalescent;
    Tendre, elle ouvre ses yeux d'opale
    D'où la douceur du ciel descend !

    Tout vit et se pose avec grâce,
    Le rayon sur le seuil ouvert,
    L'ombre qui fuit sur l'eau qui passe,
    Le ciel bleu sur le coteau vert !

    La plaine brille, heureuse et pure;
    Le bois jase ; l'herbe fleurit.
    - Homme ! ne crains rien ! la nature
    Sait le grand secret, et sourit.

    Victor Hugo
    ) 

     

     

     


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  • Le printemps :
    Le temps a laissé son manteau
    De vent, de froidure et de pluie,
    Et s'est vêtu de broderie,
    De soleil luisant, clair et beau.
    Il n'y a bête ni oiseau
    Qu'en son jargon ne chante ou crie:
    « Le temps a laissé son manteau!
    De vent, de froidure et de pluie, »
    Rivière, fontaine et ruisseau
    Portent, en livrée jolie,
    Gouttes d'argent, d'orfèvrerie;
    Chacun s'habille de nouveau.
    Le temps a laissé son manteau
    De vent, de froidure et de pluie,
    Et s'est vêtu de broderie,
    De soleil luisant, clair et beau.
     
    Charles d'Orléans 
    (1394/1465) 

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  • Le chant de l'eau

    L’entendez-vous, l’entendez-vous
    Le menu flot sur les cailloux ?
    Il passe et court et glisse
    Et doucement dédie aux branches,
    Qui sur son cours se penchent,
    Sa chanson lisse.

    Là-bas,
    Le petit bois de cornouillers
    Où l’on disait que Mélusine
    Jadis, sur un tapis de perles fines,
    Au clair de lune, en blancs souliers,
    Dansa ;
    Le petit bois de cornouillers
    Et tous ses hôtes familiers
    Et les putois et les fouines
    Et les souris et les mulots
    Ecoutent
    Loin des sentes et loin des routes
    Le bruit de l’eau.

                                    Emile Verhaeren


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  • Janvier est revenu

    Janvier est revenu. Ne crains rien, noble femme !
    Qu'importe l'an qui passe et ceux qui passeront !
    Mon amour toujours jeune est en fleur dans mon âme ;
    Ta beauté toujours jeune est en fleur sur ton front.

    Sois toujours grave et douce, ô toi que j'idolâtre ;
    Que ton humble auréole éblouisse les yeux !
    Comme on verse un lait pur dans un vase d'albâtre,
    Emplis de dignité ton cœur religieux.

    Brave le temps qui fuit. Ta beauté te protège.
    Brave l'hiver. Bientôt mai sera de retour.
    Dieu, pour effacer l'âge et pour fondre la neige,
    Nous rendra le printemps et nous laisse l'amour.

                                             Victor Hugo


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  • Décembre

    Le givre étincelant, sur les carreaux gelés,
    Dessine des milliers d'arabesques informes ;
    Le fleuve roule au loin des banquises énormes ;
    De fauves tourbillons passent échevelés.

    Sur la crête des monts par l'ouragan pelés,
    De gros nuages lourds heurtent leurs flancs difformes ;
    Les sapins sont tout blancs de neige, et les vieux ormes
    Dressent dans le ciel gris leurs grands bras désolés.

    Des hivers boréaux tous les sombres ministres
    Montrent à l'horizon leurs figures sinistres ;
    Le froid darde sur nous son aiguillon cruel.

    Evitons à tout prix ses farouches colères ;
    Et, dans l'intimité, narguant les vents polaires,
    Réchauffons-nous autour de l'arbre de Noël.

        

                               Louis-Honoré Fréchette

     


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  • On dirait que l'hiver tombe

    On dirait que l’hiver tombe ;
    Tous les toits sont déjà gris ;
    Il pleut deux ou trois colombes,
    Et c’est aussitôt la nuit.
    Un seul arbre, comme un clou,
    Tient le jardin bien au sol.
    Les ombres font sur les joues
    Comme des oiseaux qui volent.
    L’air est plein d’étoiles blanches,
    La Noël est pour lundi.
    Qu’il sera long le dimanche
    Que nous passerons ici !

    Maurice Carême


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  • Mois de décembre :

    Le hibou parmi les décombres
    Hurle, et Décembre va finir ;
    Et le douloureux souvenir
    Sur ton cœur jette encor ses ombres.

    Le vol de ces jours que tu nombres,
    L'aurais-tu voulu retenir ?
    Combien seront, dans l'avenir,
    Brillants et purs ; et combien, sombres ?

    Laisse donc les ans s'épuiser.
    Que de larmes pour un baiser,
    Que d'épines pour une rose !

    Le temps qui s'écoule fait bien ;
    Et mourir ne doit être rien,
    Puisque vivre est si peu de chose.

                                           

                                      François Coppée

     


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  • Buffet Mado 40 50's vert vintage. Je viens d'en acheter un presque comme  ça! Et celui sur la photo a des vitre… | Buffet maison, Buffet mado,  Relooking de mobilier 

    C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
    Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
    Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
    Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

    Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries,
    De linges odorants et jaunes, de chiffons
    De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries,
    De fichus de grand’mère où sont peints des griffons ;

    – C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches
    De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
    Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

    – Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
    Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
    Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

                                               Arthur Rimbaud, Cahier de Douai

     


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  • Mère

    C’est l’hiver et le noir décembre
    Gémit dans le bois attristé ;
    A la fenêtre de ta chambre
    Pend un vieux pampre dévasté ;
    La bise qui gronde à ta porte
    Siffle autour de ton front charmant ;
    Sans songer aux fleurs qu’elle emporte,
    Pourquoi souris-tu si gaîment ?

    Oh ! dit-elle en levant la tête,
    Que me fait le temps triste ou beau !
    Tous mes jours sont des jours de fête.
    J’ai dans le cœur un chant d’oiseau.

    Mais du sein de la terre ouverte
    S’élèvent les blondes moissons ;
    Vois la feuille odorante et verte
    Habiller rochers et maisons :
    Quant tout frémit, s’éveille et chante,
    Quand ta vitre brille au soleil,
    Pourquoi la gaîté rayonnante
    A-t-elle fui ton front vermeil ?

    Oh ! dit-elle en baissant la tête,
    Que me fait le temps triste ou beau !
    Comment saurais-je que c’est fête ?
    Mon cœur a perdu son oiseau.

     

     


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  •  

    VA-T-EN, ME DIT LA BISE...

     


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  • Peut être un dessin de 1 personne et texte qui dit ’Feuille rousse, feuille folle Feuille rousse, feuille folle, Tourne, tourne, tourne et vole! Tu voltiges au vent léger Comme un oiseau apeuré. Feuille rousse, feuille folle! Sur chemin de l'école, rempli tout mon panier Des jolies feuilles du sentier. Feuille rousse, feuille folle! Dans le vent qui vole, vole, J'ai cueilli pour mon cahier La feuille rousse qui dansait. LUCE FILLOL, Musi-Musou raconte (Magnard).’


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  • la-pluie-sur-la-riviere redimensionnerLa barque glisse. Un vieux passeur

    Rame, en agitant l’épaisseur

    D’une eau qu’on sent pleine de drames.

    Les rames plongent dans ce noir,

    Puis se dressent dans l’or du soir,

    Et de l’or aussi pleut des rames.

    Le passeur peine toujours plus ;

    Mais c’est l’instant de l’Angélus ;

    Des clochers ont frémi, tout proches,

    Les cloches tintent : c’est encore

    De l’or mélodieux, de l’or

    Qui coule avec la voix des cloches.

    Vieux passeur, tes bras sont rompus !

    Mais quels philtres nous avons bus

    Pendant l’exquise traversée !

    Que d’or errant sur nos flots noirs !

    Que d’or  rayonnant, certains soirs,

    Dans l’âme par l’amour bercée !

     

    Bretagne - Heures vécues. Charles FUSTER 

            ( Extrait d'un passage  concernant la vallée de la Rance )

     


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  • lhermitte-leon-001 redimensionner

    C'est la fenaison ; personne ne chôme.
    Dès qu'on voit du jour poindre les blancheurs,
    En groupes épars, les rudes faucheurs
    Vont couper le foin au sauvage arome.

    Au bord des ruisseaux, d'indolents pêcheurs
    Des saules pensifs dorment sous le dôme ;
    Et, le soir venu, l'air qui nous embaume
    Apporte déjà d'étranges fraîcheurs.

    Mais, quand midi luit sur les fondrières,
    Deux à deux, cherchant de blondes clairières
    Où la mousse étend son beau tapis vert,

    Des couples rieurs vont sous la feuillée
    Par un beau ciel d'or tout ensoleillée,
    Le panier au bras, mettre le couvert.

     

            Louis-Honoré Frechette


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  • Il pleure dans mon coeur
    Il pleure dans mon cœur
    Comme il pleut sur la ville ;
    Quelle est cette langueur
    Qui pénètre mon cœur ?
    Ô bruit doux de la pluie
    Par terre et sur les toits !
    Pour un coeur qui s’ennuie,
    Ô le chant de la pluie !
    Il pleure sans raison
    Dans ce cœur qui s’écœure.
    Quoi ! nulle trahison ?…
    Ce deuil est sans raison.
    C’est bien la pire peine
    De ne savoir pourquoi
    Sans amour et sans haine
    Mon cœur a tant de peine !
     
                                            Paul Verlaine
                                           Romances sans paroles (1874)

     


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  • 590%20%20ABEILLE%20NECTAR%20MARGUERITE%20%20TRAVAIL D EQUIPAu milieu des chaleurs de Juillet l'alteré,
    Du nom de Marguerite une feste est chomee,
    Une feste à bon droit de moy tant estimee :
    Car de ce jour tout l'an ce me semble est paré.

    Ce beau et riche nom, ce nom vrayment doré,
    C'est le nom bienheureux dont ma Dame est nommée,
    Le nom qui de son los charge la renommee,
    Et qui, maugré les ans, de vivre est asseuré.

    Ou l'encre et le papier en ma main faillira,
    Ou ce nom en mes vers par tout le monde ira.
    Il faut qu'elle se voye en cent cartes escripte.

    Et qu'un jour nos nepveux, estonnez en tous temps,
    Soit hyver, soit esté, sans faveur du printemps,
    Voyent dans le papier fleurir la Marguerite.

     

         Etienne de la Boëtie


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  • 63355 grandmother lg

    C'est une horloge en châtaignier, Au long coffre à la mode antique,
    Que dut longuement travailler -Quelque Michel-Ange rustique
    Au bas, le sonneur de biniou - Fait face au sonneur de bombarde,
    Durant qu'au fronton un hibou -De ses grands yeux ronds vous regarde.

    Oh ! combien cela me charmait,- Quand j'étais tout petit, de suivre
    La mort des Heures, que rythmait- L'énorme balancier de cuivre;

    Car vraiment, lorsque près d'un seuil,- On contemple une Horloge-close,
    Elle a tout l'air d'un long cercueil- Où le Temps, qui n'est plus, repose !

     

    La première Heure que chanta- L'Horloge de sa Voix profonde
    Fut celle au grand'maman jeta - Son premier cri dans ce bas-monde,

    Et ce fut ce Dong ! éclatant - De demi-heure en demi-heure
    Qui régla, dès lors, chaque instant - De ta vie, ô Toi que je pleure !

    Dong ! Dong ! elle sonnait ainsi - Et l'heure grave et l'Heure folle,
    L'Heure des jeux et l'Heure aussi - Où partait l'enfant pour l'école ;

    Dong ! Dong ! le moment du Réveil, - Puis l'Heure où l'on se met à table;
    Dong ! Dong ! le moment du Sommeil - Quand passe le Jeteur de sable;

    Dong ! Dong ! l'heure où, pour le Saint-Lieu; On part, en bande, le Dimanche;
    L'Heure où, pour recevoir son Dieu, - Plus tard, on met sa robe blanche;

    Dong ! Dong ! la prime-aube du jour - Où l'on va travailler la Terre,
    Et puis l'Heure où gémit d'amour - Le cœur las d'être solitaire !

    Dong ! Dong ! les instants si joyeux - Où les petits gâs apparaissent;
    L'Heure digne où s'en vont les vieux - Pour faire place à ceux qui naissent !

    Et la Femme en âge avançait, -Devenait Maman, puis Grand'Mère...
    Et l'Horloge aussi vieillissait - À tant sonner l'Heure éphémère;

    Et Grand'Maman allait, venait - Chaque jour de plus en plus frêle...
    Et l'Horloge sonnait, sonnait, - D'une voix de plus en plus grêle...

    Quand de Grand'Maman la raison -Sembla, pour toujours, endormie
    L'Horloge à travers la maison, - Sonna l'heure pour le demie;

    Et Grand'Maman, dans son lit-clos,  Agonisa, puis se tint coîte...
    Et ce furent de longs sanglots Que pleura l'Horloge en sa boîte;

    Enfin, dans le lit, un soupir...   Et le grand balancier de cuivre
    S'arrêta d'aller et venir   Quand Grand'Maman cessa de vivre...

    Et Grand'Mère auprès des Élus Est montée avec allégresse...
    Et l'Horloge ne sonne plus; Elle est morte aussi de vieillesse,

    Morte à jamais ! C'est vainement - Qu'un grave horloger l'interroge :
    C'était le cœur de Grand'Maman - Qui battait dans la vieille Horloge !

                                              THéodore BOTREL

    Toujours aussi triste, mais  très beau .  Poéme proposé par ma soeur  Mimi


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  • c 16767 lg

     

     

     

     

     

    e qui est beau, c'est un visage
    Ce qui est beau, c'est l'amitié
    Une robe qui s'en va un peu plus loin et volage
    Laisse autour d'elle les oiseaux gazouiller.

    Ce qui est beau, c'est le passage
    De la brume à l'aurore et du cep au raisin
    Ce qui est beau, c'est le ramage
    Car tout ce qui vit sur la terre est du bien.

    Ce qui est beau, c'est tout le monde
    Ce qui est beau, c'est les filets
    Du pêcheur qui s'en va près des rives profondes
    Cueillir la sardine et le nacre des fées.

    Ce qui est beau, c'est comme une onde
    La marche en avant de l'homme et l'été
    Qui revient tous les jours car toujours il triomphe.
    Ce qui est beau, c'est l'amitié.

     

    Jean-Pierre Voidiès  

     


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  • 1295384530 3442144 1-Photos-de--cours-de-violon-tout-niveauLe violon, d'un chant très profond de tristesse,
    Remplit la douce nuit, se mêle aux sons des cors,
    Les sylphes vont pleurant comme une âme en détresse,
    Et les coeurs des arbres ont des plaintes de morts.

    Le souffle du Veillant anime chaque feuille ;
    Aux amers souvenirs les bois ouvrent leur sein ;
    Les oiseaux sont rêveurs ; et sous l'oeil opalin
    De la lune d'été ma Douleur se recueille...

    Lentement, au concert que font sous la ramure
    Les lutins endiablés comme ce Faust ancien,
    Le luth dans tout mon coeur éveille en parnassien

    La grande majesté de la nuit qui murmure
    Dans les cieux alanguis un ramage lointain,
    Prolongé jusqu'à l'aube, et mourant au Matin.

                  

                   Emile Nelligan


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  • m068904 000039 p redimensionner

    Oh ! combien de marins, combien de capitaines
    Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
    Dans ce morne horizon se sont évanouis ?
    Combien ont disparu, dure et triste fortune ?
    Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
    Sous l'aveugle océan à jamais enfoui ?

    Combien de patrons morts avec leurs équipages ?
    L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages
    Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots !
    Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée,
    Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée ;
    L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !

    Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
    Vous roulez à travers les sombres étendues,
    Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus
    Oh ! que de vieux parents qui n'avaient plus qu'un rêve,
    Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
    Ceux qui ne sont pas revenus !

    On demande " Où sont-ils ? Sont-ils rois dans quelque île ?
    Nous ont' ils délaissés pour un bord plus fertile ? "
    Puis, votre souvenir même est enseveli.
    Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.
    Le temps qui sur toute ombre en verse une plus noire,
    Sur le sombre océan jette le sombre oubli

    On s'entretient de vous parfois dans les veillées,
    Maint joyeux cercle, assis sur les ancres rouillées,
    Mêle encore quelque temps vos noms d'ombre couverts,
    Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
    Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures
    Tandis que vous dormez dans les goémons verts !

    Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
    L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ?
    Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
    Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
    Parlent encore de vous en remuant la cendre
    De leur foyer et de leur coeur !

    Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
    Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
    Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,
    Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne,
    Pas même la chanson naïve et monotone
    Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont !

    Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
    O flots ! que vous savez de lugubres histoires !
    Flots profonds redoutés des mères à genoux !
    Vous vous les racontez en montant les marées,
    Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
    Que vous avez le soir, quand vous venez vers nous...

                                                                         Victore Hugo

    C'est Nicole C. qui a sollicité  ce superbe  poême


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  • Toi qui fleuris ce que tu touches,
    Qui, dans les bois, aux vieilles souches
    Rends la vigueur,
    Le sourire à toutes les bouches,
    La vie au cœur ;

    Qui changes la boue en prairies,
    Sèmes d'or et de pierreries
    Tous les haillons,
    Et jusqu'au seuil des boucheries
    Mets des rayons !

    Ô printemps, alors que tout aime,
    Que s'embellit la tombe même,
    Verte au dehors,
    Fais naître un renouveau suprême
    Au cœur des morts !

    Qu'ils ne soient pas les seuls au monde
    Pour qui tu restes inféconde,
    Saison d'amour !
    Mais fais germer dans leur poussière
    L'espoir divin de la lumière
    Et du retour !


                                                       René-François Sully Prudhomme.


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  • Bannières de mai

    Aux branches claires des tilleuls
    Meurt un maladif hallali.
    Mais des chansons spirituelles
    Voltigent parmi les groseilles.
    Que notre sang rie en nos veines,
    Voici s’enchevêtrer les vignes.
    Le ciel est joli comme un ange.
    L’azur et l’onde communient.
    Je sors. Si un rayon me blesse
    Je succomberai sur la mousse.

    Qu’on patiente et qu’on s’ennuie
    C’est trop simple. Fi de mes peines.
    je veux que l’été dramatique
    Me lie à son char de fortunes
    Que par toi beaucoup, ô Nature,
    – Ah moins seul et moins nul ! – je meure.
    Au lieu que les Bergers, c’est drôle,
    Meurent à peu près par le monde.

    Je veux bien que les saisons m’usent.
    A toi, Nature, je me rends ;
    Et ma faim et toute ma soif.
    Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.
    Rien de rien ne m’illusionne ;
    C’est rire aux parents, qu’au soleil,
    Mais moi je ne veux rire à rien ;
    Et libre soit cette infortune.

                                             Arthur Rimbaud, Derniers vers


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  • A des amis qui partaient

    Vous partez, chers amis ; la bise ride l'onde,
    Un beau reflet ambré dore le front du jour ;
    Comme un sein virginal sous un baiser d'amour,
    La voile sous le vent palpite et se fait ronde.

    Une écume d'argent brode la vague blonde,
    La rive fuit. — Voici Mante et sa double tour,
    Puis cent autres clochers qui filent tour à tour ;
    Puis Rouen la gothique et l'Océan qui gronde.

    Au dos du vieux lion, terreur des matelots,
    Vous allez confier votre barque fragile,
    Et flatter de la main sa crinière de flots.

    Horace fit une ode au vaisseau de Virgile :
    Moi, j'implore pour vous, dans ces quatorze vers,
    Les faveurs de Thétis, la déesse aux yeux verts.


                        Théophile Gautier.


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  • Sensation

    Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
    Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
    Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
    Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

     

    Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
    Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
    Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
    Par la Nature, – heureux comme avec une femme.

     

    Mars 1870

     

                                                                                                       Arthur RIMBAUD

    Arthur Rimbaud


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  • Bretagne

    Pour que le sang joyeux dompte l’esprit morose,
    Il faut, tout parfumé du sel des goémons,
    Que le souffle atlantique emplisse tes poumons ;
    Arvor t’offre ses caps que la mer blanche arrose.

    L’ajonc fleurit et la bruyère est déjà rose.
    La terre des vieux clans, des nains et des démons,
    Ami, te garde encor, sur le granit des monts,
    L’homme immobile auprès de l’immuable chose.

    Viens. Partout tu verras, par les landes d’Arèz,
    Monter vers le ciel morne, infrangible cyprès,
    Le menhir sous lequel gît la cendre du Brave ;

    Et l’Océan, qui roule en un lit d’algues d’or
    Is la voluptueuse et la grande Occismor,
    Bercera ton cour triste à son murmure grave.

    José-Maria de Heredia, Les Trophées

     


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  • Le matin des étrennes

    Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
    Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
    Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux,
    Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux,
    Tourbillonner, danser une danse sonore,
    Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
    On s’éveillait matin, on se levait joyeux,
    La lèvre affriandée, en se frottant les yeux…
    On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
    Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
    Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
    Aux portes des parents tout doucement toucher…
    On entrait !… Puis alors les souhaits… en chemise,
    Les baisers répétés, et la gaieté permise !

    Arthur Rimbaud (1854-1891)

     

     


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  • Il pleure dans mon coeur

    Il pleure dans mon cœur
    Comme il pleut sur la ville ;
    Quelle est cette langueur
    Qui pénètre mon cœur ?

    Ô bruit doux de la pluie
    Par terre et sur les toits !
    Pour un cœur qui s’ennuie,
    Ô le chant de la pluie !

    Il pleure sans raison
    Dans ce cœur qui s’écœure.
    Quoi ! nulle trahison ?…
    Ce deuil est sans raison.

    C’est bien la pire peine
    De ne savoir pourquoi
    Sans amour et sans haine
    Mon cœur a tant de peine !

    Paul Verlaine
    Romances sans paroles (1874)

     


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  • Noël, Noël

    Le ciel est noir, la terre est blanche;
    – Cloches, carillonnez gaîment! –
    Jésus est né; – la Vierge penche
    Sur lui son visage charmant.

    Pas de courtines festonnées
    Pour préserver l’enfant du froid;
    Rien que les toiles d’araignées
    Qui pendent des poutres du toit.

    Il tremble sur la paille fraîche,
    Ce cher petit enfant Jésus,
    Et pour l’échauffer dans sa crèche
    L’âne et le boeuf soufflent dessus.

    La neige au chaume coud ses franges,
    Mais sur le toit s’ouvre le ciel
    Et, tout en blanc, le choeur des anges
    Chante aux bergers: "Noël! Noël!"

     Théophile Gautier

     


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  • Sabots des sans Noël

    Les deux petits sabots fêlés
    Dans les grands chemins désolés,
    Où vont-ils, chantant sur la grêle
    Dont s’est clair verni leur bois frêle,
    Les deux petits sabots tout blancs,
    Aux petits pieds tout bleus dedans ?

     

    Ils s’en vont fuyant l’âtre, au gel
    Car les sabots des sans-noël,
    Ô pourquoi ? retrouvés pleins d’ombre
    Font au jour, deux trous au cœur sombre,
    Les deux pauvres sabots navrants
    Sans petits pieds de gueux dedans.

    Décembre a des sabots trop grands.

                Carmen LAVOIE

     


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